Le pont : d’une rive à l’autre

Au delà de la réalité physique de l’infrastructure franchissant une rivière, un fleuve ou un cours d’eau, le pont est le symbole d’un concept abstrait qui a été largement étudié dans la mythologie, les religions et la littérature. La représentation du pont la plus utilisée est celle du passage de vie à trépas. Le pont symbolise aussi dans les légendes du Roi Arthur le pont de l’épée pour atteindre le château du Graal. Dans toutes les religions, le symbole du passage vers un au-delà, est celui de l’âme qui va d’une rive à l’autre. Pour le salut de l’âme, l’homme traverse le pont du purgatoire pour échapper aux tourments de l’enfer. Dans l’hindouisme le symbole du pont est directement exprimé par le mot yoga. Yoga ou योग en dévanagari, vient de la racine YUJ et de la voyelle A et signifie unir, joindre, lier. Mais unir, joindre ou lier quoi ? C’est le pont entre l’âme individuelle (âtman आत्मन्) et l’esprit universel (brahman ब्रह्मन्). Cette forme d’engagement spirituel va permettre au yogin d’atteler son attelage (corps) pour venir dresser les chevaux (les sens) afin d’unir l’être subjectif avec le suprême.

Faire la posture du pont ou setu bandhâsana (सेतु बंधासना) c’est faire un lien entre deux points qui nous relient à ce qui est autre. Nous sommes des ponts, des reliances entre deux rives qui parfois nous échappent car nous sommes toujours entrain de naviguer entre deux points. Faire face à une plage, une mer bleue et un ciel d’azur nous permet de nous relier à ce qui est inconnu. Tout nous sépare de quelque chose ou de quelqu’un. Faire un pont c’est appréhender la réalité floue de l’un car il nous projette dans notre propre condition d’humanité. Nous sommes directement lié à la terre et au ciel en même temps dans un même espace. L’homme est en équilibre dans cet espace, dans ce pont entre ciel et terre. C’est par le tapas, c’est à dire par l’ardeur du travail que toute la symbolique du pont aura sens pour relier l’autre rive. Nous avons tous en nous-même la capacité à joindre et à mettre en relation des pôles opposés de notre être. Lorsqu’on réalise des postures en flexion latérale ou en rotation, nous relions nos opposés droite et gauche mais il en est de même lorsqu’on relie l’arrière et l’avant, l’est et l’ouest par des postures d’extension ou de flexion avant. Enfin, lors des étirements on relie le haut et le bas, le ciel et la terre.

Le corps et l’esprit nous dit le yoga sont intiment liés. A chaque instant le travail du corps va nous amener par une passerelle pour atteindre la sérénité de l’esprit. La respiration consciente, que seulement l’homme possède, va permettre en agissant sur le corps, les énergies, les émotions et les pensées de relier le corps et l’esprit. Il est donc fondamental de se concentrer sur sa respiration pour trouver cette reliance entre ce qui est autre afin de trouver et saisir ce qui nous échappe. Nous sommes un pont et notre réalité est de relier nos deux rives. C’est à nous de venir les relier.

Ci-dessous un extrait du livre « La traversée des frontières », Seuil 2004 de Jean Pierre Vernant. Ce texte, qui a été commandé pour le 50 ième anniversaire du Conseil de l’Europe est inscrit parmi d’autre sur une borne du Pont de l’Europe qui relie Strasbourg en France et Kehl en Allemagne.

« Passer un pont, traverser un fleuve, franchir une frontière, c’est quitter l’espace intime et familier où l’on est à sa place pour pénétrer un horizon différent, un espace étranger inconnu, où l’on risque, confronté à ce qui est autre, de se découvrir sans lieu propre, sans identité. Polarité donc de l’espace humaine fait d’un dedans et d’un dehors. Ce dedans rassurant clôturé stable, ce dehors inquiétant, ouvert, mobile, les Grecs anciens les ont exprimés sous la forme d’un couple de divinités unies et opposées. Hestia et hermès. Hestia est la déesse du foyer, au cœur de la maison. Elle fait de l’espace domestique qu’elle enracine au plus profond un dedans, fixe, délimité, immobile, un centre qui confère au groupe familiale en assurant son assise spéciale, permanence dans le temps, singularité à la surface du sol, sécurité face l’extérieur. Autant Hestia est sédentaire, renfermée sur les humains et les richesses qu’elle abrite, autant Hermès est nomade, vagabond, toujours à courir le monde ; il passe sans arrêt d’un lieu à l’autre, se riant des frontières, des clôtures, des portes, qu’il franchit par jeu, à sa guise. Maitre des échanges, des contacts, à l’affut des rencontres, il est le dieu des chemins où il guide le voyageur, le dieu aussi des étendue sans routes, des terre en friches où il mène les troupeaux, richesse mobile dont il a la charge, comme Hestia veille sur les trésor calfeutrés au secrets des maisons. Divinités qui s’opposent, certes, mais qui sont indissociables. Une composante d’Hestia appartient à Hermès, une part d’Hermès revient à Hestia. C’est sur l’autel de la déesse, au foyer des demeures privées et des édifices que sont, le rite, accueillis, nourris, hébergés les étrangers venus de loin, hôtes et ambassadeurs. Pour qu’il y ait véritablement un dedans, encore faut ‘il qu’il s’ouvre sur le dehors pour le recevoir en son sein. Et chaque individu doit assumer sa part d’Hestia et sa part d’Hermès. Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité c’est perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre ? Entre deux rives du même et d l’autre, l’hommes es t un pont. »

Retour en haut