Ahimsā, la non-violence

Dans les plaines de l’est africain, au soleil couchant, une gazelle paisse tranquillement le peu d’herbe qu’elle a sous ses pattes. Dans cette atmosphère chaude de fin de journée, un guépard affamé rode dans les parages à l’affut du moindre morceau de viande à se mettre sous les dents avant la nuit. Soudainement , il aperçoit la gazelle.  Celle-ci, d’un regard furtif sursaute et se met à courir à toute vitesse. Avec sa musculature puissante et sa redoutable force dans ses pattes, le guépard s’élance à la poursuite de la gazelle. La course fait lever de la poussière et affole tous les autres animaux dans les alentours. Malgré ses pattes frêles, mais puissantes, la gazelle n’arrive pas à distancer le guépard. Après une embardé, le guépard fait un bon et arrive à lui sauter sur le cou et avec la puissance de ses mâchoires la met à terre. Le festin peut commencer. Pendant qu’il mange tranquillement, apparait dans le ciel un gypaète. En voyant la scène, celui-ci se met à tourner autour de son futur repas. Sans agressivité, il laisse le guépard se remplir la panse. Lorsqu’il en était bien repu, le guépard s’éloigne à pas lents  en laissant le cadavre d’une gazelle à moitié dépecé. D’un seul battement d’aile, le gypaète plonge vers le cadavre et d’un coup de bec arrache une patte décharnée de la gazelle. Il s’envole aussitôt vers la montagne et à une certaine distance, lâche la patte qui s’écrase sur un rocher, puis recommence l’opération jusqu’à avoir un fragment d’os qu’il avale d’un seul trait. Les os de la gazelle sont avalés en quelques minutes. 

La violence quotidienne dans les plaines africaines est féroce et instinctive. Elle est le reflet de la survie dans la nature. Il y a une hiérarchie parmi les animaux sauvages et chacun sait qu’un moment donné il sera la proie d’un autre animal plus fort. C’est la loi de la jungle. 

La morale de cette scène africaine est la violence qui est inscrite dans l’incarnation. En tous lieux et en tout temps, la violence abonde car quand nous nous incarnons, nous rentrons dans une chair. La force de vie qui nous habite nous fait avancer, nous protège et lorsque nous nous sentons menacé nous attaquons instinctivement comme la gazelle, le léopard et le gypaète. Alors se nourrir, se reproduire, se défendre, peuvent devenir soudain porteur de violence, elle-même aveugle. Cette violence traduit la peur dans notre relation à nous-même et aux autres. Heureusement que l’homme possède un cerveau autre que celui du reptilien et a la capacité de l’apprentissage de la non-violence. En effet, la non-violence s’apprend, elle se cultive en soi, se développe à travers nos couches, physiques, émotionnelles, psychiques et même spirituelles. Contrairement aux idées reçues, notre civilisation est beaucoup moins violente que jadis. Statistiquement, il y a beaucoup moins d’homicides et de violences car à travers le prisme de l’internet et de la rapidité de l’information on pourrait croire le contraire. Cependant, dans l’époque trouble que nous traversons, il suffit de quelques instants pour que le feu de la violence se ranime et qu’en quelques heures une communauté s’embrase (voir les violences à Hong Kong, à Bierut, à Santiago du Chili et même sur les ronds-points des gilets jaunes). 

Alors que dit le yoga sur la non-violence ? Il dit que le changement ne peut venir que de l’intérieur, c’est bien en nous que se trouve la solution. La non-violence ou ahimsā en sanskrit est une force spirituelle, c’est le pouvoir de dieu en nous. Pour atteindre cet état de non-violence, il faut d’abord pratiquer une sādhanā, une discipline ou une ascèse. C’est précisément l’un des objectifs du yoga et même le premier de tous, puisque dans l’enseignement des yoga sûtra de Patanjali, la non-violence, ahimsā est la porte d’entrée aux huit étapes du yoga. Il faut noter que le mot ahimsā ou non-violence est un nom négatif. C’est une façon de nous dire que la violence est première et qu’avant d’être en paix avec soi, donc pacifique, il faut d’abord passer par la violence et qu’il faudra la désamorcer. En français, le mot violence et viol ont la même racine dérivant du latin violatio et du grec bia ou bios, la vie. La violence est la vie, on l’a bien vu dans la savane africaine. Pour désamorcer ce mal, il faut d’abord s’occuper de son corps. C’est la seule et unique porte d’entrée. La non-violence commence par pacifier notre corps qui lui est souvent mal traité. Le chemin du yoga nous amène à ne pas nuire, ne pas voler, d’être vrai, d’être sobre, ne pas entasser, ce qui constituent les abstinences (les yama) des yoga sutra. Ce chemin nous amène aussi à être net et propre, être en harmonie avec soi, s’exercer, se connaitre, s’en remettre au divin, ce qui constituent les observances (les niyama) des yoga sutra. Les yama, c’est s’efforcer d’abandonner son ego et les niyama c’est cheminer vers plus de conscience et d’aller vers l’essentiel. Remarquez que le premier yama qui est ahimsa (la non-violence) renvoie au dernier des niyama qui est Isvara pranidhana, l’abandon à dieu, le lâcher-prise où l’on abandonne les armes et l’on remet au divin tout ce que l’on est. C’est bien un chemin de transformation qui s’opère.

Sur le tapis de yoga, le yogi met à l’épreuve le vécu de la non-violence. On ne doit pas prendre une posture avec force, c’est elle qui nous prend dans la douceur, dans la détente, le lâcher-prise, même si la fermeté n’en est jamais absente. Patanjali nous dit « sthiram sukham āsanam » ; sthiram étant l’indispensable fermeté et sukham signifie le bonheur c’est-à-dire un espace où on se trouve bien. Alors à chaque cours de yoga, expérimentez la non-violence dans les postures, et laissez s’installer un état de bien-être unique sans jugement et sans que l’égo intervienne.

3 réflexions sur “Ahimsā, la non-violence”

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