Le yoga et les images

Quel est donc ce besoin d’image qui remplit nos sociétés  et dont le yoga s’en est accaparée ?

Le dictionnaire Le Robert définit l’image comme une représentation visuelle de quelque chose, d’un objet ou d’un être humain. Elle peut aussi être une représentation d’un mental, une représentation instantanée de quelque chose du passé. L’image peut avoir différentes teintes, différentes saveurs, différentes lumières mais aussi elle peut être forte, peut choquer et même opposer et détruire les hommes. Elle peut aussi les rassembler et apporter amour et paix.

De tous temps l’homme a mis l’image au centre de sa vie. Au temps des cavernes, dans les grottes préhistoriques, l’image a été l’un des premiers moyens de communication. Les images ont été ensuite fixées sur d’autres supports et ont permis de transmettre des idées plus abstraites. Les vitraux des églises permettaient de transmettre la foi à une population bien souvent illettrée. C’est seulement au 17ème siècle que les églises ne furent plus construites avec des vitraux mais avec de simples vitres. La communication entre les hommes à travers les images a permis l’échange de nouvelles idées et le développement d’une culture propre. C’est ainsi que l’on est arrivé jusqu’à vouloir maîtriser les hommes au moyen d’images.

Depuis déjà plusieurs années nous sommes envahie par les images. Elles sont présentes de partout il n’y a pas une seule activité humaine qui en échappe. Il est loin le temps où les seules images disponibles aux hommes étaient visibles sur des toiles de peinture. Depuis la création du daguerréotype par Louis Dageurre en 1839, l’homme a enfin eu à disposition la possibilté de fixer des images sur un autre surport plus facile d’accès que sur une toile où il fallait avoir des qualifications de peintre.

Aujourd’hui, la notion d’image a considérablement changé avec l’invention de la photographie et encore plus encore depuis l’apparition du cinéma. Contrairement à la peinture qui était réservée à une élite, la photo est devenue populaire et nous sommes envahis par les images qui ont bouleversé la manière que nous avons de nous voir et de voir les choses.

Le yoga n’échappe pas à cette invasion des images. Tous les jours, plus d’images de yoga apparaissent dans les médias. Les enseignants de yoga eux-mêmes utilisent les images en mettant sur leurs sites et sur les réseaux sociaux des photos de posture. En occident, les images d’hommes torse nu en train d’exécuter des postures montrent un yoga exhibitionniste, ce sont de beaux athlètes dans des postures parfaites montrant surtout leur côté extraordinaire et voulant faire du yoga une discipline qui s’apparenterait plus à un sport. Ce côté performance a été également mis en scène par les plus grands maîtres yogis comme Sri T. Krishnamacharia qui en 1938 avait fait un film le montrant au cours d’une séance de yoga. Ce film, maintenant visible sur internet, montre un enchaînement de poses exécutées avec grâce et fluidité. Mais en regardant de plus près, Shri T. Krishnamacharia a un corps relaxé et un visage détendu, par contre la plupart des photos de yoga en occident montrent des hommes et des femmes avec des corps tendus et des visages aux sourires crispés qui expriment un « regardez-moi, la posture est parfaite et je suis beau » … des images trompeuses.

Toutes ces images véhiculent une représentation de l’égo. Leur prééminence dans la société conduit l’homme à mettre toujours en avant la beauté d’un corps parfait et à privilégier cette vision de l’être. Elles nous détournent de l’essence même de l’homme, nous éloignent et nous emprisonnent dans un mental en constante activité.

Le yoga nous apprend à nous méfier des images. En effet, nous venons de voir que l’image est une représentation d’une réalité située dans le passé, or le yoga est une réalité qui se construit dans le présent par un travail sur soi. Mais le yoga se méfie également des images qui sont véhiculées dans le présent en particulier par les miroirs. Dans les salles de yoga, il ne devrait pas y avoir de miroir afin d’empêcher les élèves de se regarder et d’éviter qu’à travers ce regard ils ne recherchent la performance. Ils ne seraient alors plus à l’écoute des effets de la posture sur leur corps et seraient tentés d’être dans le « faire la posture » au lieu « d’être la posture ici et maintenant ». Je me souviens d’un élève qui était assez avancé en yoga et qui, du fait de ce désir de vouloir bien réaliser la pose, avait les épaules toujours trop élevées malgré mes demandes répétées de les abaisser. Il était dans une logique d’apparence, de représentation d’une image qui le bloquait dans son corps de façon inconsciente. Dans beaucoup de cours de yoga, les élèves sont souvent plus dans une attitude de « plaire aux autres » que de « s’accepter eux-mêmes », de plaire à l’enseignant mais aussi de plaire aux autres élèves en montrant leur « performance en yoga » à l’instar des pratiquants des salles de sport. Les postures sont alors réalisées avec souplesse et force mais ouvertes vers l’extérieur au lieu d’être orientées vers l’intérieur.

Pendant un cours de yoga je suis un arbre, un bâton, un guerrier, un animal, un objet, un personnage, une direction. Les noms des postures de yoga sont pleins d’images, une imagination sans limite. Le foisonnement des postures, dont la légende dit qu’il y en aurait autant que d’étoiles dans le ciel, marque la richesse du corps humain à pouvoir se mouvoir dans toutes les positions. Mais ce qui compte c’est la posture et comment elle est prise. Prenons l’exemple de l’arbre, Vrksâsana, posture debout avec une jambe pliée, genou ouvert sur le coté, le pied posé sur la face interne de la cuisse, les mains en prière au dessus de la tête dans la version aboutie. Cette posture ressemble-t-elle à l’image qu’on se fait d’un arbre ? Il faut avoir une bonne imagination pour concevoir que cette posture en soit un. Supposons que l’on n’ait jamais vu un arbre de sa vie, peut-on dire que cette posture soit un arbre ? Son apparence est donc trompeuse.

Mais qui suis-je ? Est-ce l’image de la posture que je renvoie ou est-ce l’image de sa représentation, de son symbole. Un arc, une sauterelle ou le Dieu Hanuman ? C’est bien le symbole de la posture qui fait sens. Le symbole c’est mettre ensemble, mettre en relation, unir la même tuile d’une même vérité. C’est l’union du corps et de l’esprit dans une posture. Alors soyons un arbre, soyons un bâton, soyons Shiva dansant, vivons la posture pleinement, unissons nous en eux tout en nous en détachant par une attitude de lâcher prise. La posture doit être vécue dans toute sa dimension afin d’ouvrir le cœur, l’esprit et l’être et atteindre une autre dimension ouverte vers l’intérieur.

L’objet du yoga étant cette reliance à une autre dimension, laissons alors le bâton, l’arc ou le Shiva dansant nous pénétrer. C’est ainsi que le paraître va s’estomper pour ne laisser apparaître que l’être dans toute sa dimension.

 

 

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