Les kleśa क्लेश : les souffrances de la vie.

Depuis toujours, l’homme est à la recherche du bonheur. La majorité des êtres fuient le malheur et tentent par divers moyens de chercher le bonheur. Tous les moyens sont bons et justes pour effacer les souffrances de la vie quotidienne et de tout ce qui nous afflige pour tendre vers un état de calme intérieur. Pour y parvenir, nous avons créé un monde de confort où tout est en sécurité. Les objets qui nous entourent sont sécurisants et l’on croit que tout va bien. Or, notre mental nous joue des tours car nos connaissances en matière de confort et de sécurité sont sans limites et nous créons toujours plus d ‘objets pour encore plus nous rassurer de ce qui nous fait peur. Pour le yogin, le bonheur même n’est pas désirable. Car toute expérience de bonheur vient de la jouissance d’objets auxquel il s’attache. Ainsi du bonheur nait l’attachement et du malheur nait la haine et le ressentiment. Les textes de Yoga ont très bien étudiés ce phénomène où le mental est en constante ébullition. Le but du yoga est justement d’aller vers un état ou les fluctuations du mental doivent diminuer voire cesser (Yoga Vriti Chitta Nirodha = Le yoga est la cessation des fluctuations du mental ; Yoga Sûtra de Patañjali, Sutra I.1.2). Or, ces schémas d’interférence où fluctuations polluantes de la conscience qu’on appelle en sanskrit les kleśa vont altérer nos vies. Tant que ces kleśa sont productifs il n’y a pas de raison que l’esprit se calme. Ces afflictions sont au nombre de cinq. Elles sont naturelles et innées.

La première des souffrances et qui va dominer toutes les autres, c’est l’ignorance ou avidyā. Selon l’hindouisme, l’ignorance est l’ignorance de sa propre nature et non l’ignorance de la connaissance et du savoir. Avidyā est due à l’identification du sujet ou du voyant avec l’objet de la perception ou de la conception, c’est à dire que le yogin doit être capable de percevoir la réalité de toutes choses, objets ou conceptions. Ainsi le voile de l’ignorance se lève et le yogin arrive à avoir une vision globale de l’univers. Mais l’homme refuse de voir le réel et se trouve à devoir la diviser et la compartimenter pour prendre que ce qui nous convient et rejeter ce que nous ne voulons pas. Et celui qui empêche de voir la vérité, c’est bien sûr le soi égotique, le moi.

Les quatre autres afflictions sont les pousses de la racine avidyā. La première à émerger est l’orgueil ou en sanskrit asmitā. C’est quand on se dit « c’est moi qui pense », « c’est moi qui voie », « je suis corps ». Ainsi, ces affirmations vont amener à l’insuccès « j’ai échoué », « je suis malade », « je suis blâmé ». Le bonheur est tout aussi néfaste que le malheur. Nous jugeons sur l’apparence et sur la base de comparaison sans valeur. Ceci entraine une constante insatisfaction de nos conditions de vie.

La seconde affliction est l’attachement ou rāga en sanskrit; c’est l’aspect de l’ignorance qui consiste à s’identifier aux expériences de plaisir. Rāga désigne un amour obsessionnel, une fusion du soi égoïste avec l’objet de notre attachement. Nous observons ici une fusion et une identification absolue entre l’ego et un objet en sa possession. Par exemple, lorsque notre portable tombe en panne notre vie devient insupportable et nous fonçons vers un magasin pour en acheter immédiatement un autre. L’attitude que nous devrions avoir lorsque le portable tombe en panne est d’avoir une gratitude pour tous les services rendus et non pas un sentiment de propriété.

La troisième affliction est l’aversion ou dveșa. Cette affliction est l’autre face de l’attachement. C’est une répulsion qui conduit à l’animosité et la haine. Par exemple, je n’aime pas votre comportement mais cela ne veut pas dire que je vous déteste. C’est encore à nouveau l’ignorance qui joue le rôle de perturbateur. Il faut éviter de rentrer dans une guerre entre le bien et le mal car il ne peut y avoir de vainqueur.

Enfin, la dernière des quatre  afflictions est la peur ou abhiniveśa. C’est le fait de la peur de la mort et de se cramponner à la vie. Cette attitude anxieuse est présente chez tous les animaux, et est plus intellectualisée chez l’homme. La lutte pour notre existence, le désir de prolonger la vie est naturel mais c’est encore l’ego qui nous joue des tours. Cela ne veut pas dire qu’il faille se laisser aller lorsqu’on est malade mais s’agripper à la vie est ignorance, parce que cela implique la croyance en la permanence des choses transitoires. Cette crainte instinctive est pour la pensée indienne la preuve que l’expérience de la mort avec toutes ces souffrances qui vont avec, a été vécue auparavant dans d’autres vies. Mais cette dernière affliction est la plus difficile à briser même si on la comprend intellectuellement.

Les cinq afflictions émotionnelles – avec l’ignorance – sont importantes pour notre vie et pour accomplir notre voyage du yoga mais c’est surtout l’ignorance qui est le moteur de toutes ces souffrances. C’est la raison pour la quelle que le yogin doit par tous les moyens qui sont à sa disposition aller vers la connaissance de l’univers qui est en lui, soit vidyā ou jñāna qui est la réalisation suprême, le lien qui lie l’âme individuel ātman à l’âme universel brahman.

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