Marcher, aller vers une voie de liberté et vers d’autres horizons

Après la naissance, le bébé est d’abord assis les jambes repliées en losange et le bassin assez ouvert. Rapidement il va se mettre à quatre pattes et se déplacer ainsi jusqu’au moment le miracle se produit ; il se redresse et avec l’aide d’une main ou d’un rebord, il se met à marcher. Le regard se déplace du sol vers le haut et surtout vers l’avant. Ainsi il va découvrir le monde en tâtonnant et ses hésitations vont le pousser de voir plus haut et surtout aller à la découverte de l’espace. Pour le petit bonhomme, la position debout et l’apprentissage de la marche sont le signe d’un passage symbolique. Si depuis très longtemps, l’homme s’est sédentarisé, la marche continue à nourrir son désir d’avancer et son éternelle curiosité. 

Marcher implique un travail sur soi, un travail d’interrogation sur sa vie car aller de l’avant pose la question de ce que l’avenir nous réserve. La marche nous rend plus disponible au monde. L’homme ne peut s’empêcher d’aller vers l’avant, de découvrir d’autre monde. Nous le voyons à l’heure actuelle ou le confinement est pour certaines personnes une véritable angoisse. Cette errance permet d’ouvrir nos sens, la vue, l’odorat, l’ouïe, le toucher et même le goût sont en encore plus ouvert quand on marche. La vue d’un champ avec les odeurs de fleurs, la brise qui vient caresser nos corps ou le vacarme de nos villes ultra dense sont des instants privilégiés d’une intense beauté. Dans l’action de marcher on découvre la vulnérabilité de l’être. Le fait de marcher revivifie le désir de se mettre en route vers l’essentiel.

En sanskrit, le mot calati चलति signifie marcher, se mouvoir, se déplacer, bouger. Mais le mot yoga est par définition une marche, une marche spirituelle car il désigne l’union entre l’esprit et le corps et entre les deux il y a un chemin donc une marche à réaliser. En sanskrit, le mot siddhi सिद्धि est l’accomplissement d’un objectif, la réalisation d’un but. Dérivé de la même racine le mot sadhana सधन​désigne le moyen pour y arriver. Ainsi les deux mots se concentrent en un seul mot « yoga » qui est aussi bien l’état final recherché que le chemin qui y mène.

Au Japon, dans la tradition de l’école zen sôtô, la marche méditative se fait avec une extrême lenteur. Cette marche inclut l’observation de la respiration des sensations des pieds avec le sol et de l’orientation du corps dans l’espace. Ainsi l’attention et l’état de présence dans l’assise ne change pas, ils sont simplement appliqués dans le mouvement. Le chemin n’a plus de point d’arrivée, le but du chemin est l’abolition du but.

Dans la pratique posturale du yoga, il ne s’agira pas de concevoir la posture comme une but en soi mais comme un chemin. Comme il n’y pas de notion de performance lors de la pratique, la posture de yoga se dénoue de toute tension dans un relâchement permanant de l’effort. Ainsi, à chaque fois qu’on réalise une posture, c’est une marche qu’on l’on entreprend.

Dans la période de confinement que nous vivons tous actuellement pour éradiquer ce coronavirus, il est essentiel de revenir à une vision de la vie avec calme et sérénité. Il faut avancer avec lenteur et en pleine conscience face aux évènements, c’est-à-dire faire un pas non pas en arrière mais en avant afin de ralentir l’anxiété du moment. Il faut saisir ce moment de ralentissement qui nous est imposé pour se poser la question de notre être et surtout voir le monde dans lequel nous vivons d’une autre façon afin peut-être et je le souhaite, le changer.

Ce qui nous est offert de vivre aujourd’hui est propice à l’intériorisation, à la méditation et au silence. Aucun paradoxe à cela, il nous est tout simplement offert de stopper le vacarme intérieur, afin que nos pas puissent germer une nouvelle ère de justice, de joie et d’équilibre entre les hommes. Au sortir d’une méditation, la situation autour de soi apparait avec un peu plus de finesse, libérée du brouillard de nos pensées, on voit le monde à neuf.

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