Samsāra ou l’océan de la souffrance

Dans la newsletter précédente, nous avions abordé la Bhagavad Gīta comme étant une réflexion sur les conséquences de nos actes (agir ou ne pas agir) et de leurs répercutions dans le monde. Dans ce texte apparaît une opposition entre deux mondes, d’une part un monde de souffrance où nous sommes prisonniers de tout ce qui nous affecte car nous sommes sous l’emprise de l’ignorance (c’est le monde du samsāra traduit dans le texte par le fleuve des renaissances) et d’autre part, un monde sans souffrance; celui du brahman, le refuge du suprême où il n’y a plus de renaissance. Qu’est-ce qui permet de passer d’un monde à l’autre ? Ce qui permet ce passage est le bateau de la connaissance. Ce bateau de la connaissance est celui de la réalisation du suprême celui qui est au dessus du ciel et qui se trouve dans la grotte du cœur de chaque homme, c’est le brahman. Cette âme universelle est après libération la même que l’âme individuelle, l’ātman. Ainsi donc, ni les rites sacrificiels, ni les dieux ne peuvent rendre compte de cette indicible réalité. Comment emprunter ce bateau, comment réaliser cette connaissance libératrice ? Il faut d’abord comprendre ce qui nous enchaîne en ce bas monde afin de connaître ce brahman.

Dans l’hindouisme, le samsāra est le mot utilisé pour parler du cycle de la renaissance, des vies et des morts qui se suivent sans que l’adepte réussisse à atteindre la libération. Le mot samsāra est composé du terme “sam” qui se traduit par ensemble où par tout ce qui est relié en symbiose et du terme “sri” qui se traduit par s’écouler, laisser courir. Cela donne une idée d’un écoulement circulaire des renaissances d’où l’idée d’un fleuve qui coule sans fin. Certaines images reviennent souvent dans les textes pour évoquer le samsāra ; c’est l’image du monde qui tourne et qui traine sans pouvoir s’en dégager. Une autre image est celle d’un fleuve au courant violent impossible à traverser. Cependant, certains y parviennent, on les appelle les faiseurs de guet. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Dans la mythologie grecque ou romaine, Charon aide à traverser le Styx les âmes qui ont reçu une sépulture sauf que sur l’autre rive c’est la mort et on n’en revient pas par une renaissance.

Pour l’hindou, le samsāra désigne la condition humaine asservie à la nécessité de naitre, de mourir, de renaitre et de re-mourir. « Naitre et renaitre voila le malheur » nous dit la Bhagavad Gīta. Cette insistance de la souffrance du samsāra est commune au bouddhisme et à l’hindouisme et ceci dès l’origine des upanishads. La Bhagvada Gīta pose la question de celui qui n’a pas réalisé le but du yoga dans sa vie, que deviendra-t-il après la mort ? Krishna répond que s’il a accumulé assez de mérite par une pratique assidue alors tous les bénéfices se retrouveront dans une vie future.

Cette expérience du samsāra qu’expérimente tout être humain, reflète la non connaissance de la réalité du suprême et l’ignorance de la lumière du couple brahman-ātman. Celui qui quitte ce monde sans avoir connu cette impérissable vérité est pitoyable et malheureux. Pour le renonçant, ou le yogi accompli, le ciel ou le brahman est le lieu de la transmission de nos actes, de tous nos actes et surtout ceux qui sont justes et efficaces. L’acte efficace n’est pas un geste simple qui se perd aussitôt accompli, c’est un acte qui a une partie visible (l’acte qu’on a produit) et une partie invisible (ce que va produire l’acte). Par exemple, je réalise une belle posture de yoga pendant un cours. La partie visible va être la posture et la partie invisible va être les effets de celle-ci sur mon existence. Et ces effets, le yogi ne doit pas en récolter le fruit de cet acte ou de la partie invisible de la  posture. Le yogi doit donc faire la posture sans but. En une seule existence, on n’épuise pas tous les effets des ces actes.  Il reste toujours un résidu, un germe de désir (de bien faire la posture) qui déterminera une nouvelle naissance. A partir de cette notion d’actes justes et efficaces une loi va s’étendre à tout actes et va devenir la loi du karman. Le karman est le principe selon laquelle la vie humaine est un maillon d’une chaine de vies, chaque vie étant influencée par des actions perpétrées dans les vies antérieures.

Toute action est toujours accomplie en vue d’un résultat. Toutes actions accomplies par nous portent en elles un devenir efficace et qui va se déployer dans le temps. Le mot karman  se compose de la racine kri qui se traduit par faire ou produire quelque chose. Il est alors la somme de ce qu’un individu a fait, est en train de faire ou fera. En vertu de la cette loi, nos actions présentes sont déterminées par tout un passé et détermine aussi nos existences futures.

La personnalité de chaque individu est conditionnée et dirigée par la loi du karman. C’est ce que la Bhagavad Gīta appel les liens de l’acte. Donc toute action est d’avance prise dans une série de causes et d’effets qui s’enchainent et c’est ce qu’on appelle la roue du samsāra.

En résumé, réaliser des actes efficaces pour tourner la roue cosmique, c’est faire tourner la roue des renaissances. Pour le renonçant (qui a réalisé l’ātman) tout ceci est insuffisant.

Qui suis-je ? Suis-je la somme de mes actes ? Si tous nos actes sont les effets de causes déterminantes mais où est la liberté ? Pour l’heure, la réponse est claire et elle n’est pas de ce monde ! Elle n’existe qu’au niveau de l’ātman-Brahman. Avant de parler de liberté, la pensée indienne parle de libération. Il faut passer par un travail de libération qu’on nommera moksha qui se traduit par détacher, délier, libérer de nos conditions humaines et percer le voile de l’ignorance. Mais nous en reparlerons à la prochaine newsletter.

 

 

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