Le Corps yoguique

Pour cette newsletter de la rentrée 2020, je vous propose une suite de la newsletter de cet été où nous avions étudié la posture en yoga, āsana, vu par les textes fondateurs du yoga et ensuite comment les apprivoiser sur le tapis. 

La suite développée ici sera de tenter de répondre à la question – qu’est qu’un corps yogique ? – vu aussi par les textes philosophiques du yoga.

De nos jours, le yoga s’est essentiellement focalisé sur le corps physique, sur un travail des étirements dans les cinq sens de la colonne vertébrale. Un cours en 2020 va surtout être axé sur la performance, sur la capacité qu’à chaque corps à dépasser ses limites. Le corps moderne et mondialisé actuel est empirique, anatomique, biologique et biomédical. Dans toutes les formations de professeur de yoga il y a des séances d’anatomie. On apprend aux futurs enseignants d’être attentifs aux élèves et à l’exécution des postures car ils peuvent se faire facilement mal. C’est la raison pour laquelle qu’il est préférable de donner un cours par la voix uniquement en ne montrant pas les postures car sinon le professeur va devenir le référent de l’élève et voudra faire comme lui. Une blessure en yoga peut avoir des répercussions importantes sur la santé du pratiquant car elle n’est pas toujours détectable au premier abord. Ensuite, le pratiquant peut se retourner contre le professeur qui n’a pas fait le nécessaire pour prévenir son élève des mauvaises positions. Cela peut même amener le professeur à avoir des déboires juridiques. 

Cette réalité des cours de yoga actuel a conduit à rejeter les visions du corps plus traditionnelles. Avant cet ère moderne de l’enseignement du yoga, le yogi conçoit le corps comme un réseau relié par des canaux appelés nādī destinés à la circulation de différents types de souffles internes et de force vitale. Ces réseaux peuvent être visualisés en méditation ou peuvent être manipulés au moyen de techniques physiques. Ces mêmes réseaux sont de deux sortes ; la kundalinī et les chakra qui pour un débutant sont visualisés puis deviennent progressivement des entités corporelles sujettes à des manipulations physiques. Ces manipulations ont pour but d’atteindre l’éveil spirituel en développant des pouvoirs particuliers afin de se libérer du cycle des renaissances (samsāra). Le corps du yogi est aussi conçu comme un microcosme à l’image de l’univers macrocosmique tout entier avec ses enfers, ses paradis, ses planètes et ses dieux. Les premiers textes qui mentionnent le corps du yogi sont les textes tantriques qui constituent la base sur laquelle les enseignements ultérieurs se sont fondés pour traiter le sujet. La notion de réseau de canaux dans le corps est apparue pour la première fois dans les Upanishad anciens. Ainsi la Brihadāranyaka upanishad mentionne 72 000 canaux sortant du cœur alors que la Katha Upanishad en mentionne cent et un canaux sortant du cœur et pour la première fois mentionne un canal central, la sushumnā. Plus tard, le plus ancien traité tantrique Nishvāsatattvasamhitā mentionne deux canaux à droite et à gauche du canal central Idā (à gauche) et Piñgalā (à droite).

Les chakra ou roues sont des centres subtils de méditation situés le long de la colonne vertébrale. Ils ont en général sept nœuds, de la base de la colonne vertébrale (muladara chakra) jusqu’au sommet (shrashaha chakra). Cependant, le Goraksataka un ancien texte tantrique en mentionne douze. (Pour plus de précision, consulter la newsletter du 1er avril 2014 consacré aux chakra). Au cours du siècle précédent, les chakras sont devenus un élément fondamental du yoga moderne mondialisé, bien souvent reformaté en fonction d’un environnement nouveau comme la religion, le New Age, ou encore la psychologie. Les chakras doivent être percés « avec la lance de la connaissance » selon les textes tantrique du 8ème siècle. La plupart des textes parlent de six ckakras et non sept, c’est seulement au 10ème siècle que dans le texte tantrique kubjikāmatatantra qu’est ajouté un septième chakra placé au-dessus de la tête au niveau de la fontanelle, sahasrāra, par lequel le soi du yogi ou son principe vital est censé sortir à sa mort. Il est aussi décrit comme l’extrémité supérieure du canal de la sushumnā.

En plus des canaux et des chakras, il y a le concept de « vents ou vayu » circulant à travers le corps. Le prāna ou souffle vital est mentionné dans le Rig Veda. Mais c’est surtout dans le Yoga Sutra de Pātañjaliqui les décrit pour la première fois dans le contexte de la pratique du yoga. Il faut préciser que le terme prāna désigne à la fois l’ensemble des cinq vents (plus communément appelé force vitale) et le premier d’entre eux.  Ses cinq vents sont prāna (le vent ascendant et de l’absorbation) apana (le vent descendant et de l’élimination) udāna (le vent de la parole et de la création), sāmana (du feu digestif et du discernement) et vyāna (le vent de la circulation et de la mobilité). (pour plus de précision, consulter la newsletter du 1er novembre 2014 consacré aux vents – vayu).

Un corps yogique ne serait pas complet sans la kundalinī dont la traduction du sanskrit est « celle qui est enroulée » et qui désigne la puissance de la divinité féminine (shakti). Elle est souvent représentée par un serpent enroulé sur lui-même et endormi à la base de sa colonne vertébrale. Au moyen de pratiques de yoga comme la visualisation, le contrôle du souffle (prānāyāma), les sceaux (bandhas) et les mantras, le souffle vital est contraint de quitter les deux canaux collatéraux (idā et pingalā) et d’entrer le canal central sushumā. La kundalinī s’éveille, s’étire et monte le long de l’axe central en perçant les chakras et c’est ainsi que des pouvoirs spéciaux (siddhi) apparaissent au yogi. Lorsque cette énergie atteint le sommet du crâne, la libération ou l’immoralité survient. L’immortalité se réalise lorsque la kundalinī accède au nectar d’immortalité (amrita) situé au centre de la tête. Ce nectar inonde ou se dissolve (laya) dans le corps alors à ce moment la kundalinī redescend au bas du canal central d’où elle est venue. Ce système et décrit pour la première fois dans le texte tantrique kubjikāmatatantra.

Une autre notion du corps du yogi est apparue dans les textes yogiques qui est celle de bindu. Le binduest traduit par la semence ou plus exactement par « goutte » ou « point ». Cette semence qui est continuellement renvoyé au sommet de la tête doit y être conservé. En temps normal le bindu s’écoule vers le feu digestif. Il est impératif pour tout yogi qui veut atteindre la libération de ne pas disperser sa semence. Diverses techniques permettent de conserver la semence dans la tête et parmi lesquelles la méditation et certaines postures comme viparītakaranī (la posture où la tête est en bas et les jambes redressées vers le haut). Chez l’homme ordinaire la semence est souvent éjaculée pour la procréation ou pour le plaisir sexuel mais cet écoulement entraine la vieillesse et la maladie. Or pour éviter la dégradation du corps, le yogi doit contenir sa semence dans la tête. Ceci est analogue à l’amritamentionné plus haut. A la différence que l’amrita qui doit s’écouler vers le bas et ne pas s’accumuler dans la tête alors que le bindu au contraire doit être préserver dans la tête. C’est deux techniques qui sont contradictoires ont été ultérieurement intégrées dans la double explication de la Hatha Yoga Pradīpikāet qui deviendra le texte de référence du yoga. Le plus important selon ce texte est que le but du yoga est la monté de la kundalinī et non celle du bindu. A noter que les textes décrivent toujours la semence de l’homme mais la femme n’y est jamais mentionnée. Plus récemment, certains grands sages yogis en étudiant les textes philosophiques ont intégrés la notion de sang menstruel comme étant le bindu de la femme.

Pour conclure cet article sur le corps yogique et quel que soit les pratiques utilisées, le corps doit être asséché ou cuit. Selon le Hatha Yoga Pratipika les sécrétions corporelles sont asséchées lors de la montée de la kundalinī  puis la lune dans la tête doit être asséchée et enfin la kundalinī étreint Shivadisparait. Après quoi, elle ne descend pas et le corps n’est pas inondé d’amrita et le yogi est libéré de la pesanteur de son corps. Asséché le corps au moyen de la kundalinī, des mudras ou du prānāyāma va permettre de le libérer du cycle des existences. L’importance de cet ascétisme peut sembler surprenant à nos yeux de pratiquants d’un yoga mondialisé et moderne où le corps doit être renforcé et non rejeté. On peut dire que le but yoga est identique à la conception du christianisme du rejet du corps, sauf que pour le yoga le chemin est plus long et que le rejet du corps n’est autre que le respect et l’observation de celui-ci afin de trouver la pureté et l’immortalité.

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